Les Vieux !

Ces derniers temps je n'arrête pas de me casser le nez sur les vieux. Et quand je dis vieux, je veux dire vieux de vieux, du surmaturé authentique, pas du bébé-retraité dans mon genre. Ils sont partout et ça me fait tout drôle.

D'abord, la pianiste de 108 ans, Alice Sommer, avec son Chopin quotidien, que je vous ai présentée l'autre jour. Elle n'a pas reçu de "Grammy Award", mais le "Golden Granny", à tous les coups !

Ensuite, je lis un très beau récit de jeunesse, "L'enfant Rieur " de l'écrivain Henri Bauchau, publié cet automne. Voilà-t-y pas qu'il raconte des souvenirs personnels qui remontent à la guerre de 14… et de quelle plume, précise, vive et transparente comme l'eau d'un torrent ! 98 ans, Monsieur Bauchau. Et vas-y.

Et puis il y a eu cette rencontre avec les merveilleuses photos de Chris Marker, la série des 200 femmes dans le métro (blog de juillet). Dans le métro, on n'en voit guère, des ancêtres. Les kilomètres de couloir, les volées d'escaliers interminables, est-ce qu'on imagine les expéditions métropolitaines de Chris pour rassembler tout son matériau ? Aucun problème, voyons, il n'a que 90 ans !

Oh, je pourrais en citer d'autres, ils me poursuivent, je vous dis. Stephane Hessel, 94 ans, incontournable arrière grand-père des Indignés, ou même Helmut Schmidt, 93 ans, ancien Chancelier de la Bundesrepublik et excellent pianiste, qui vient de délivrer à son parti SPD un beau testament politique humaniste. 

Bon, j'arrête là, car vous avez autre chose à faire que prendre de l'âge en me lisant.

Tout de même, ces jours-ci je me régale avec la série des récits d'Agnès Varda " Agnès de ci de là Varda" (sur Arte). Madame Agnès sillonne le globe, elle fait des tas de rencontres, avec des gens, des oeuvres, des paysages et elle nous ramène une moisson hétéroclite et primesautière, dans laquelle l'amour et la curiosité dominent, pour les gens mais peut-être surtout pour les créations d'art contemporain qu'elle choisit de nous présenter. Tout ce qu'elle nous montre prend un relief tendre et vivant. Parfois on peut l'apercevoir dans ses récits filmés, qui se déplace avec une canne. Elle s'en fout complètement de sa canne, cela crève les yeux. Mais bon, elle, c'est une gamine de 84 ans.

Alors bon, qu'est-ce qu'ils ont à la fin ces artistes-ancêtres ? Nos Maisons pour Vieux ne sont-elles pas peuplées de leurs contemporains, qui bavassent et dodelinent sans faire les malins ? Le pacte faustien peut-être ? Une petite signature avec le Diable, non pas pour la fraîcheur de la peau, ( les chirurgiens ont détrôné Satan) mais pour la vivacité de leurs oeuvres? Ah, Ah, de quel enfer se paiera l'éternel printemps de la création ?

Trop de questions, mauvaises questions, pas de réponse.

Tout cela me fait penser à Brejnev et à ses collègues,  rappelez-vous, la "gérontocratie soviétique", comme on disait alors. Ils étaient si rassis, cireux, emmurés, qu'ils pouvaient à peine tourner la tête pour suivre le défilé militaire sur la Place Rouge, chaque joli mois d'octobre. Ils avaient la même gueule que leurs lourds manteaux gris et leurs yeux étaient aussi vides que le rayon lingerie fine du magasin Goum.

A l'époque, ces vieux empaillés ont marqué mon imaginaire, marqué en quelque sorte la ligne d'horizon de la vieillesse. Je me trompais bien sûr. C'est juste le Pouvoir qui les avait mis dans cet état.

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