Akhmatova
Connaissez-vous la poétesse Anna Akhmatova ? Un opéra, AKHMATOVA, vient de lui être consacré, donné en première mondiale à l'Opéra Bastille, signé Bruno Mantovani. Il met en scène le destin de cette grande poétesse russe du temps de l'Union soviétique et plus précisément pendant les années de la terreur stalinienne, puis de la guerre, puis de nouvelles années de purges.
J'ai aimé la musique et la mise en scène, dommage que le livret n'ait pas su faire rayonner la poésie de Akhmatova à travers ce récit d'une femme écrasée, mais qui envers et contre tout ne lâche jamais le fil ténu de son art. Quoi qu'il en soit, de par sa modernité tragique, cet opéra est un évènement. On est loin des bons vieux éléphants de Aïda ou de la toux de Marguerite Gautier. L'opéra retrouve un sang neuf et des lettres de noblesse.
Obstinément attachée à sa Russie natale, Anna Akhmatova refusa d'émigrer et subit tous les ostracismes et les mises à l'index. Figure immense de la poésie, sa stature nationale empêcha le régime de s'attaquer à elle directement, cependant il s'ingénia à la briser en ciblant les êtres qu'elle aimait. Son fils fut longuement emprisonné, son mari exécuté et nombre de ses amis furent également victimes de la répression. Pour autant, elle continua à composer et lorsqu'il devint trop dangereux de mettre ses poèmes par écrit, elle les transmit oralement à des proches qui, à leur tour, firent circuler ces poèmes de bouche à oreille.
Risquer sa liberté et sa vie pour qu'un poème existe.
Quand l'art pèse d'un pareil poids, il faut faire silence et écouter. Voici le poème LE VERDICT, écrit en 1939 après l'arrestation de son fils Lev :
Voilà. Le mot, pierre, est tombé
Sur mon sein encore vivant.
Ce n'est rien, je m'y ferai.
J'étais prête depuis longtemps.
J'ai bien du travail aujourd'hui.
Il me faut tuer ma mémoire,
Il me faut empierrer mon âme,
Il me faut réapprendre à vivre.
Et pourtant...Ce froissement brûlant de l'été,
Comme une fête à ma fenêtre.
Depuis longtemps je pressentais
Ce jour si clair, cette maison déserte.
( Recueil "Requiem", Traduction de Sophie Benech )