Ulysse le Retour

Nous sommes en Sicile ces jours-ci, terre d'Antiquité, où Ulysse, dit-on, mena sa barque. Cela me fait penser à cette pièce de l’allemand Botho Strauss, ITHAQUE, vue récemment au théâtre des Amandiers. Superbement mise en scène par Jean-Louis Martinelli, avec l’imposante Ronit Elkabetz en Pénélope.

Ulysse arrive enfin chez lui, après toutes ces années d’errance. La sage Pénélope l’a attendu fidèlement, penchée sur son ouvrage. Sonnez hautbois, résonnez trompettes ! Les héros vont enfin profiter d’un repos et d’une félicité bien mérités. Sauf qu’avec  Botho Srauss, les affaires sont un peu plus corsées.

Hors donc : Ulysse le grand héros est un tchatcheur, un frimeur fatiguant qui a tendance à toujours répéter les mêmes histoires. Il débarque après toutes ces années, sans avoir donné la moindre nouvelle, et il s’offusque de voir sa cour chamboulée, de trouver les prétendants à sa succession installés à demeure dans l’attente de la décision de Pénélope, éternellement reportée. Croyez-vous qu’il court vers sa chère épouse, reconnaissant qu’elle l’ait si dévotement attendu, ( au lieu de s’offrir un des beaux jeunes princes qui n’attend que cela ) ? Point du tout. Il s’embusque dans un coin, déguisé en mendiant, et il épie, il espionne tout ce qui se passe. On s’attend légitimement à ce que le grand Ulysse, maître des subterfuges, héros rusé entre tous, prépare un stratagème éblouissant pour évincer les courtisans et récupérer son trône et sa femme. Las ! La stratégie se résume ainsi : Ulysse tend un piège aux prétendants et les passe tous au fil de l’épée, sans faire de détail, et hop, un gros tas de princes dans la fosse commune ! De la fine politique pour sûr.

Ainsi donc, Ulysse est une brutasse avide de sang, le cerveau meublé d’un pois chiche, et même pas capable d’accomplir tout seul le massacre, non, il a besoin de l’aide indéfectible et féroce de la déesse Athena, qui soutient son bras pour achever le bain de sang. Il faut dire qu’il se fait vieux, pépère, et puis les voyages c’est fatigant, surtout à l’époque de l’Antiquité.

A quoi pense-t-elle, l’Athéna ? N'est-ce pas le boulot d’un dieu que d’avoir un peu de recul sur la situation ? Parce que, figurez-vous, les prétendants ne sont autres que les fils de toutes les familles nobles d’Ithaque, qui pouvaient prétendre très légitimement à succéder au roi disparu. Donc, Ulysse a éliminé toute son aristocratie d’un seul coup d’un seul, toute sa base électorale, quoi. Pour un roi, c’est bête, non, il va mettre qui dans sa cour, le neveu de la femme de ménage de Sarkozy ? Une fois sa rage soit-disant spontanée passée, il se sent tout morveux, il commence même à avoir peur, aïe bonne mère, la vengeance de toutes les familles va le poursuivre sans merci, que faire que faire ? Et là encore, la sublime déesse Athena trouve the solution : elle va étendre sur Ithaque le voile vaporeux de l’amnésie ! Avec Athéna le " devoir de mémoire " est vite réglé. Personne ne se souviendra du passé, ainsi Ulysse et Pénélope pourront-ils régner en toute légitimité, portés par le respect et l’affection de leur peuple, toute mémoire effacée, amen.

Abracadabra, hocus pocus fidibus : il importe que la gloire des héros et des dieux soit chantée pour les siècles des siècles et tant pis pour la vérité, tant pis pour les dégâts ( collatéraux ), tant pis pour l’intelligence. Restera la grande chanson de geste, le récit épique et hypnotique, et les peuples seront éblouis et charmés.

Mais il arrive parfois que les peuples réclament un autre rêve, ils descendent alors sur les places, abattent les anciennes statues et prennent le risque du désordre et de l’aventure. Damas Tripoli Le Caire Sana’a Bahrein Tunis, tout le monde descend !

Zut alors, je voulais aussi parler de Pénélope, une fieffée roublarde, qui dort à poing fermé quand il y a de la castagne, elle n’y est pour rien, pensez-vous ! Alors qu’en vérité elle s’amuse avec les prétendants depuis des années, à les faire poireauter par mille ruses, à les pousser dans le lit des servantes, c’est devenu sa raison de vivre, pas étonnant que ça finisse mal. Pénélope qui déborde de rancoeur contre ce mari qui a passé tant d'années à roucouler ailleurs, Hélène d’abord et puis Circé et dieu sait qui encore. Mais elle l’idolâtre, son Ulysse. Maintenant qu’il est de retour, elle le reprend bien sûr, mais... bon ça suffit, on a compris !

Ce qu’il y a de drôle avec les héros et les dieux grecs, c’est qu’ils sont aussi versatiles, lunatiques, mauvais joueurs que tout un chacun, mais avec les pouvoirs spéciaux en plus. Pas comme notre Dieu unique à nous, passablement impuissant, il faut le reconnaître, mais qui nous assène son implacable cohérence !

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