Silence, on tourne - au ralenti -

"Allo, c'est toi ? Ouai, là j'ai pas le temps, ah bon, toi non plus, c'est cool, bon, on se voit plus tard, qu'est-ce que tu dis ?  La soirée chez X ? Je vais sûrement y aller, enfin je sais pas encore, je te ferai un sms, bon là il faut que je bouge, ah bon ? pourtant je viens de consulter mes mails, attends je regarde de nouveau, ah oui, il y est le message, zut c'est embêtant, tant pis je l'appellerai après, ah tu as besoin de son numéro ? Pas de souci je t'envoie un sms, ok, qu'est-ce que tu dis ? Ah, le concert des Facho-Da? Divin, une vraie tuerie, en boucle dans mon casque que je me le passe, d'ailleurs j'ai failli pas entendre ton appel, ça me fait penser à l'émission hier soir chez Ardillon, la plantée du mec qui défendait le rock désamplifié, complètement pathétique, après 2 minutes Ardillon lui dit… comment ? Ah tu l'as pas vu, bon, pas grave, de toutes façons faut que je file moi… ah là, ça me donne envie de gerber, tu verrais les news sur la 3, le truc en Syrie, là, des cadavres partout, c'est l'enfer, ils sont vraiment malades, attends je ferme la télé là, qu'est-ce que tu dis ?
Si je l'ai lu ? Mais je l'ai Adoré ce bouquin, il faudrait que je le finisse, en tous cas je vais sûrement le finir mais on m'a passé un autre truc à lire, vraiment génial, j'ai commencé hier dans le bus, j'aurais continué, tellement c'était fort, sauf qu'il y avait MA série à la télé, tu sais "Des poux chez les Ripoux"  à mourir ce truc, archi décalé, ah oui t'as regardé aussi, tu as vu la scène quand le flic jaillit du gâteau de mariage, quel délire, bon, ensuite j'ai chatté avec les filles,  tu sais comment elles passent les soirées, pfui… Bon, là ça sonne sur le fixe, on se rappelle, oublie pas d'aller voir ma page Face Book, tu vas avoir une petite surprise, ha ha ! "

Et bien voilà, j'espère que vous avez supporté ce petit dialogue virtuel destiné à illustrer l'Intensité de la Vie à Cent à l'Heure Sans Bouger de sa Chaise que nous vivons tous de nos jours, oui tous, enfin, tous les autres sauf vous et moi, bien entendu.

Ceux qui observent le monde tel qu'il va ont constaté, au niveau planétaire, un déficit galopant de la capacité de concentration de tout un chacun et particulièrement des jeunes. Nous serions devenus de vibrionnantes girouettes, des coqs à l'âne fous, des merles sautillants, des danseurs de Saint-Guy, des qui n'écoutent plus ce qu'on leur dit, des qui oublient tout ce qu'ils racontent, bref des agités du bocal vide, agrippés à leurs tablettes, smartphones et autres outils de communication, tentant fébrilement d'écouter, voir et dire plusieurs choses en même temps avec un succès inversement proportionnel à l'agitation déployée. Tout cela très cool, bien entendu.

Bon, j'en suis où moi, et vous, êtes-vous encore là ?

Tout cela pour dire ma stupéfaction de constater que, face à cette fébrilité mondialisée, de nombreux films montrés au dernier Festival du Film de Locarno étaient entrés en résistance. Rébellion consciente, théorisée et concertée ? J'en doute, et je n'ai point d'indice dans ce sens. Peut-être faut-il y voir, plus essentiellement, un réflexe de survie, un signal d'alarme de l'art à la folie du temps.

En tous cas, de nombreux réalisateurs ont sans ambiguité appuyé sur la pédale des freins, nous attirant sans crier gare dans le royaume de la LENTEUR. 

Il y eut même un chinois, Zhenfang Yang, qui s'est payé le luxe de faire tout un film ("Yuan Fang - Distant") avec uniquement 13 plans-séquence et une caméra fixe, sans un seul mot.

Le roumain Corneliu Porumboiu dans "When evening falls on Bucarest or Metabolism" ne craint pas de répéter plusieurs fois la même longue scène, assez minimaliste au demeurant, en introduisant à chaque reprises de menues différences qui forcent la concentration du spectateur pour autant qu'il  accepte de jouer le jeu.

Le vainqueur du Léopard d'Or, le Catalan Albert Serra, étire de somptueuses séquences lentes dans son film "Historia de la meva mort" où le choc fantasmé entre un Casanova des Lumières et un Dracula de la Nuit prend un tour hypnotique.

Le "slow movie" serait-il d'avant-garde ?

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