REPRESSION MODE MINEURS

Vous vous souvenez de Pierre Joxe ? Ministre de Mitterand, membre du Conseil Constitutionnel, Président de la Cour des Comptes, une carrière  perchée sur les barreaux les plus élevés de l'échelle de l'Etat.  Homme du pouvoir de l'Etat. Un type rugueux à ce qu'on disait. On l'avait perdu de vue n'est-ce pas.

Le voilà qui revient. En catimini, par la petite porte du prétoire, celle qu'empruntent les avocats commis d'office. Pas de cause flamboyante, pas d'affaires juteuses et fumeuses, non, juste la défense au quotidien des délinquants mineurs. Dans la machinerie judiciaire, difficile de faire plus modeste.

Après avoir longtemps - bon gré mal gré -  conformé son intelligence et son éthique à la discipline qu'imposent la logique du pouvoir et les intérêts - toujours supérieurs - de l'Etat, Pierre Joxe passe derrière le décor et s'en va défendre ceux qui n'ont pas de quoi payer un avocat.

C'est à cause de sa colère que j'ai eu envie de vous parler de lui. C'est quelque chose la colère, excellent pour se remettre les idées en place, contrairement à ce que l'on prétend souvent. Et puis, c'est bien de savoir qu'un type dont les semelles se sont polies dans les allées du pouvoir est encore capable de se foutre en pétard et puis de se fatiguer à aider ses jeunes concitoyens dans le pétrin.

Il a écrit un livre* sur son expérience d'avocat auprès des jeunes délinquants, car il ne veut pas faire l'humble dans son coin sans que cela serve.

Que dit-il, en gros ? L'idéologie américaine du tout-répressif  l'emporte désormais en France, faisant du délinquant mineur un criminel comme un autre, une simple sous-catégorie du délinquant adulte, que l'on sanctionne sans plus chercher à le réhabiliter. Depuis 1945 la justice des mineurs a été régie par une Ordonnance dont le but était de ramener dans la société le jeune en rupture de ban et non pas de se contenter de le punir. Une juxtaposition de nouvelles lois a vidé l'ordonnance de 1945 de son sens.

Pierre Joxe s'applique à appeler les mineurs qu'il défend des "enfants" pour bien signifier qu'un enfant n'est pas simplement un adulte en plus petit, mais un être que la société doit protéger et guider. Il dénonce, par exemple, le nouveau système des peines plancher qui précipite directement des enfants en prison.

A travers sa pratique d'avocat de base il ne peut que constater, encore et toujours, le lien entre l'origine sociale défavorisée et la délinquance.

On ne s'étonnera pas qu'il soit particulièrement outré par le discours de Claude Guéant, actuel Ministre de l'Intérieur chargé de ramener les voix du Front National à son patron Sarkozy, et qui nie sans sourciller le lien entre misère et délinquance, faisant semblant de croire que la délinquance est une simple affaire de choix individuel, à laquelle se livrent de mauvais sujets que la société se doit d'écarter vigoureusement et sans état d'âme. Il faut entendre Joxe tonner contre la manipulation démagogique du même Guéant qui brandit la "terrible" insécurité qui afflige les français pour créer chez les citoyens une panique favorable à la droite en ces temps électoraux. " L'idée est de créer de la panique sur le dos des enfants, c'est infâme" s'insurge Pierre Joxe. On ne saurait mieux dire.

Il dénonce la sempiternelle stigmatisation des étrangers par les même politiciens démagogues. Il ne songe cependant pas à nier le fait que ce sont majoritairement des personnes issues de l'immigratrion qui peuplent les prisons. Toujours et partout, ce sont les populations les plus récemment arrivées dans un pays qui commettent, proportionnellement, le plus d'actes de délinquance, explique Pierre Joxe. Ce n'est pas parce que ce sont des étrangers, donc des gens bizarres et suspects en soi, mais parce que les nouveaux arrivants, fuyant souvent la misère chez eux, commencent fréquemment leur nouvelle vie tout en bas de l'échelle sociale et "rament" à travers les maux multiples de la misère avant de consolider leur position dans leur nouveau pays. Cela demande souvent plus d'une génération. Se contenter d'une politique du tout répressif ne fait qu'entraver le processus de progression sociale des nouveaux arrivés.

Avec Joxe, c'est la voix de la raison sensible qui prévaut. Ouf !

Bon, du coup je me dis : juste après le 6 mai, si jamais c'était le François qui… il aurait peut-être besoin d'un ministre de la Justice qui remette un peu les pendules à l'heure, vous me suivez ? Ok, je sais, il a 78 ans mais finalement, à côté d'un Stéphane Hessel, ce n'est qu'un gamin, à peine majeur !

* "Pas de quartier" paru en janvier 2012 chez Fayard.

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