LES BACHA POSH

Connaissez-vous les Bacha Posh ? C'est une curiosité afghane. Une affaire de femmes. Ou plutôt d'hommes. Enfin non, c'est le contraire, bref, vous allez voir.

Petit topo liminaire: en Afghanistan, la place d'une femme dans la société est très cadrée : une femme reste à la maison, trime du matin au soir, cache sa figure dans la rue, obéit et… ne sort pas pour gagner de l'argent. Alors ça ne vaut rien une femme ? Ah, pas du tout, qu'allez-vous penser, c'est hautement respecté, une femme. La moindre offense, la plus petite tache à l'honneur inspirent des rétorsions radicales. La femme jouit d'une grande protection, elle est protégée du monde, des hommes, d'elle-même. En dehors du périmètre de la maison, elle se définit surtout par tout ce qui lui est interdit de faire et d'être. Les garçons, par contre,  peuvent aller et venir à leur guise, ils assurent concrètement les interactions nécessaires entre la famille et la société. Ils disposent de l'autorité et de la liberté.

Alors, très logiquement, si une famille n'a que des filles et pas de garçons, elle se retrouve dans une situation bancale. Et si, de plus, le père vient à manquer, ce qui n'est pas rare avec ces guerres qui n'en finissent pas, la famille se trouve gravement handicapée dans la société : pas de protection, pas de salaire, pas de considération. Sombre perspective.

La situation des familles mono-féminines est si grave que la société a prévu un dispositif particulier pour les sortir du pétrin. Franchement, ils ont trouvé une formule originale, je n'y aurais jamais pensé ! Moi, j'aurais bêtement prévu que les filles de ces familles-là se voient octroyer une marge de manoeuvre plus grande vis-à-vis du monde extérieur, car nécessité fait loi. Ah non, je n'y étais pas du tout, fausse ingénue que je suis ! Car enfin, si certaines filles ou femmes avaient droit à des prérogatives masculines, cela signifierait qu'une femme peut vivre différemment, que c'est une chose possible. De possible à souhaitable il n'y a qu'un pas, c'est bien connu. Quel désordre en puissance, quel ver dans le fruit !

Pour éviter pareille calamité, trouvaille de génie : le Déguisement, la Transmutation de l'Apparence : on choisit une fillette de la famille, on lui coupe les cheveux à ras, on l'habille comme un gars et hop, la voilà devenue un petit mec ! Dorénavant, elle peut sortir à sa guise, jouer au foot, se battre avec les (autres) garçons, travailler, vendre des trucs dans la rue, bref vivre hors de la maison avec la liberté propre aux mâles. Elle devient l'élément protecteur des dames de sa famille. A l'extérieur, beaucoup de gens ignorent qu'elle est une fille. A l'intérieur de la maison elle garde son identité d'origine bien qu'elle soit normalement exemptée des tâches ménagères, contrairement à ses soeurs. C'est cela être Bacha Posh, fille dedans, garçon dehors. Il parait que cette embrouille remonte loin dans l'histoire.

Vous avez dit problèmes psychologiques ? Troubles de l'identité ? Circulez, pinailleurs.

Ce n'est pas tout. A la puberté, avec les premières règles, le "garçon" doit rentrer dans le rang, hop à la maison, adieu la liberté et bonjour le vernis à ongle, les tâches ménagères et la burka. Et pour bientôt, le mari-seigneur-et-maître.
Entre temps, voyez-vous, ces êtres hybrides ont pris goût à la liberté. Le retour au statut de femme est vécu comme un brutal emprisonnement, une violente castration. Cela fut probablement toujours le cas, mais aujourd'hui c'est pire, car l'Afghanistan n'est plus un champ complètement clos, on y sait, même dans les campagnes, que les femmes vivent différemment dans de nombreuses parties du monde, la télé surtout a mis dans les foyers des images d'autres modes de vie.

Alors, de nos jours, il y a des fillettes qui supplient leur famille de pouvoir être Bacha Posh et qui parfois  l'obtiennent. D'autres refusent obstinément de renoncer à être Bacha Posh une fois la puberté venue. Ces filles-là mettent leur vie en danger tant l'opprobre est virulente envers toute fille qui sort du rang. Leurs familles se trouvent sous une pression extrême, parfois directement menacées. Dans un documentaire sur Arte*, était montré le cas d'une jeune Bacha Posh qui s'obstinait à le rester malgré son âge et qui avait été emmenée à l'étranger par la Fondation MOUSSADA, invitée par des ONG européennes. Cette association de femmes voulait présenter, à travers le cas de cette jeune fille, le sort dramatique des femmes afghanes. Arrivée à Paris, la jeune fille s'est brusquement volatilisée dans la nature, préférant une vie dans la clandestinité plutôt qu'un retour au pays.  La veille de sa fuite, après un jour à Paris, elle disait face à la caméra : "peut-être qu'ici, oui peut-être qu'ici,  je voudrais et je pourrais redevenir une femme".
J'espère de tout coeur qu'une telle jeune femme recevrait  le statut de réfugiée politique si elle en faisait la demande, mais en fait, j'en doute.

Pourtant, il existe en Afghanistan une petite élite de femmes qui s'est imposée dans la vie sociale et qui occupe des fonctions normalement réservées aux hommes. Elles sont  députée, médecin, juriste et j'en passe, mais toutes témoignent du sort malheureux de leurs compatriotes et de leur propre difficulté à affronter la suspicion et le mépris qui les accablent.

* "Kaboul : tu seras un garçon, ma fille" documentaire de Stéphanie Lebrun, 2012, diffusé le 15.05.

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