Le Valais sur les chemins du Bouddhisme?

Quand j'était petite dans les années cinquante, le Valais était encore une terre de catholicisme fervent. Ma grand-mère ne manquait pas une petite messe, ainsi nommait-on l'office de bon matin. Et nous, les enfants, alignés chaque dimanche pour assister à la grand-messe, plus tardive, qui permettait d'entrer dans le jour du Seigneur par un bout de grasse matinée. Parfois nous devions rester debout dans le fond de la nef, tant elle était pleine de monde, la grande église sur la Place. En réalité, tout le village était présent. C'était un monde, une culture, une tradition, quelque chose qui semblait devoir durer toujours, une évidence comme le pain quotidien.

La suite est connue. Une décennie a suffi pour que la messe du dimanche n'abrite plus qu'une poignée de fidèles, âgés pour la plupart.

En réalité c'est de ma faute à moi, oui. Il se trouve que par un beau dimanche de 1965 je ne suis pas allée à la messe. Voilà, c'est tout. Ensuite, j'ai oublié d'y retourner. La messe et tout le tralala catholique et religieux s'est évanoui de mon horizon, s'est dissipé comme barbe-à-papa sous la langue. Ecroulée la tradition immuable,  presque aussi vite que l'inamovible mur de Berlin un quart de siècle plus tard, et bien plus silencieusement. Avec moi, des centaines de milliers d'autres jeunes ont oublié l'église, le Bon Dieu et tout le tremblement, sans s'être concertés et sans état d'âme particulier. Quelque chose dans l'air du temps. Nous étions passé d'une évidence à une autre sans fanfare ni trompette.

C'est très étrange à bien y songer. 

Cela fait des décennies que cela dure. L'église ne s'est pas écroulée, elle s'est installée, somnolente, dans sa coquille presque déserte. Il faut dire qu'elles sont parfois si belles, les coquilles catholiques. Les autres églises chrétiennes ont connu le même sort, en gros. Toute l'Europe, avec de fortes nuances selon les régions, a connu cette  désertion. L'Eglise catholique aurait pu s'adapter à l'époque, marier ses prêtres, ordiner les femmes, elle a choisi de ne pas le faire, de se crisper sur sa tradition, seule dans son coin, pariant sur le tiers-monde pour lui fournir la masse des fidèles nécessaire à son lustre. Mais ceci est un autre sujet.

Alors, pourquoi évoquer le Valais? On dit que le vieux pays montagnard s'est tourné depuis cinquante ans vers les autels dorés du fric en majesté, qu'il a, dans son abécédaire, remplacé catéchisme par affairisme et clientélisme. Les notables convoquent encore l'Eglise aux cérémonies officielles par vieille habitude et pour que son ombre vertueuse les rafraichissent quelque peu. Rien de très original, le trait un peu plus forcé qu'ailleurs, peut-être.

Derrière ce cliché de la modernité matérialiste et mercantile du Valais, je repère depuis un certain temps les traces de plus en plus distinctes d'un affichage religieux différent. Partout, dans les villes et dans les villages, en plaine comme en montagne, je vois des bustes du Bouddha orner balcons, terrasses et coins de jardin. En terre, en bronze, en pierre, de toutes sortes et de toutes tailles. Les nains de jardin en sont tout interloqués.

Etant à la recherche d'une demeure en Valais, j'ai consulté des centaines d'annonces sur internet, ce qui m'a donné l'occasion de visiter virtuellement autant d'intérieurs privés. A ma grande surprise, je n'ai cessé d'y voir des Bouddha sous forme de statuettes ou d'affiches, dans un coin du salon, au-dessus du lit de la chambre à coucher, sur une étagère du couloir. J'ai même vu une ou deux fois des bustes de l'Illuminé de taille tout-à-fait imposante.

S'agit-il d'une mode sans signification particulière? Y a-t-il en Valais un marchand de statuettes du Bouddha qui use d'un marketing particulièrement agressif pour liquider son stock géant? Les gens disposent-ils un Bouddha sur leur terrasse comme ils le feraient d'un bac à géraniums, les fleurs en moins? Allez savoir.

Mais il n'y a pas que les statues et les posters, il y a aussi ces guirlandes de petits tissus colorés sur lesquels des textes sacrés sont imprimés en sanscrit. Promenez-vous en Valais, ouvrez les yeux, vous en verrez des quantités flotter sur les galeries de bois, entre les façades, autour des pignons des toits.

J'ai tendu l'oreille pour écouter le bruit que faisait cette étrange mode. Je n'ai rien entendu, pas de déclarations, de harangues, de manifestations, rien qu'un silence tranquille.

Ah, me suis-je dit, serait-ce l'alliance des montagnards, solidarité Tibet-Valais, hautes cimes et sommets enneigés qui appellent l'âme à prendre son envol? Retour aux sources du vieux peuple rude et fervent, les nuques débarrassées du goupillon catholique qui les forçait à se courber…

Certains affirment que le bouddhisme est une philosophie et non pas une religion. Possible. Disons que si c'est une philosophie, elle s'est au cours du temps parée de rites, d'objets de culte et de toute une panoplie qui la positionne du côté des religions avec temples, litanies, processions, moines, etc.  Disons que le bouddhisme apparait aux yeux occidentaux comme une religion "light", non contraignante, qui privilégie la recherche individuelle de la sagesse et du détachement, elle ne semble pas menaçante comme d'autres…

Sans oublier la figure souriante et malicieuse du Dalaï Lama, qui pousse la tolérance et le charme jusqu'à recommander aux chrétiens de conserver leur propre religion plutôt que d'adopter la sienne, puisque toutes expriment à leur façon la même chose! Rien de tel que cette position a-missionnaire pour attirer des adeptes! Un malin authentique, Foudre Bénie, pas un authentique malin, nuance.

C'est très bien tout cela, cela me plait, je veux bien ajouter ma petite pierre au stupa, le long du sentier rocailleux qui mène au glacier du Trient.

Et je n'aurai pas le mauvais goût de rappeler qu'il arrive au bouddhisme d'être bien autre chose que douceur, profondeur spirituelle et tolérance.  Au Sri Lanka, le bouddhisme mène sa guerre contre les tamouls hindous avec une hystérie de violences qui n'a rien à envier aux dérives les plus cruelles de notre temps. Non, je ne le rappellerai pas,  je n'ai pas toujours le goût à jouer les trouble-fête.

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