Le marathon de Paris

Hors donc, il y a de cela quelques temps, lestée de ma valise à roulette et d'un sac de voyage rondelet, je franchis la porte de mon immeuble afin de me rendre à pied à la gare de Lyon pour prendre le TGV, comme j'en ai l'habitude. Et là, stupeur et chute de menton! Une marée humaine coule sous mon nez le long du Faubourg Saint-Antoine, en direction de la Bastille. Une masse compacte en shorts et maillots, qui martèle la chaussée de ses baskets, coude à coude, coudes au corps.

Le Marathon de Paris !

Les milliers de pieds qui rebondissent sur la chaussée créent un beau fond sonore bruissant, piqueté de notes sèches lorsqu’atterrissent sur le trottoir les bouteilles d’eau en plastique vides balancées par les coureurs. Des milliers de bouteilles en plastique qui transforment le trottoir en un craquant matelas translucide et bleu.

Inutile de songer à traverser.

Je longe le serpent de mer humain. A la Bastille, je parviens à rejoindre le parvis de l’opéra en passant par le souterrain du métro, dans l'espoir de trouver la voie libre sur la rue de Lyon. Hélas, le marathon emprunte le chemin de la gare. Les coureurs sont innombrables aussi loin que porte le regard et ma recherche anxieuse d'un petit interstice entre eux pour m'engouffrer et traverser l'avenue s'avère totalement vaine. Autant vouloir introduire une aiguille à travers une botte de foin dans une boîte à sardines. Je manque me prendre une grosse bouteille pleine et volante en pleine tête.

Une petite dame affolée trotte à mes côtés en piaulant “mais comment on va arriver à la gare, comment je vais faire pour attraper mon train !” . Manque de chance la course a envahi l’avenue Daumesnil, coupant toute possibilité de traverser la chaussée pour atteindre la gare.

Plantée à l’orée du passage pour piétons inaccessible, je conclus qu’il faut me résigner à rater mon train. Je ris un peu de l’absurdité de cette coulée de lave humaine qui m'interdit si absolument l'accès à la belle vieille gare dont je vois la tour emblématique à deux pas, et sur la tour la grande horloge et sur l'horloge les aiguilles qui tournent et me provoquent.  J’attends encore, incapable de renoncer, je me creuse la tête sans le moindre résultat. La petite dame continue son lamento à mes côtés. Et puis je m’énerve.

Alors, hop, je me lance tête baissée dans la muraille humaine, arrimée à mes bagages, je fends le marathon tel le sanglier affolé déboulant sur l’autoroute ! La dame s’est cramponnée à mon manteau et piaille “ je ne vous lâche pas” ! Les coureurs cassent le rythme,  les trajectoires se tordent, les insultes fusent, carambolage et tamponnage.

Arrivée à peu près indemne sur le trottoir d’en face je largue la petite dame et démarre un sprint d'enfer vers la gare, à moi le marathon maintenant !

A peine le temps de sauter dans le wagon que les portes se ferment. Les cheveux collés aux tempes, les joues écarlates, je me laisse glisser sur le siège, à ma place. Doux ronron du compartiment silencieux, déjà mon coeur se calme. Dans le wagon, personne ne se doute que c'est moi qui ai remporté le marathon de Paris! Victoire !

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