Feu nos Bistrots

 Axiome du jour : plus un lieu est splendide plus ses bistrots sont calamiteux. J'ignore si quelqu'un a fait des statistiques sur ce sujet d'intérêt vraiment général, mais je trouve que cela vaudrait la peine!

Disons que cette situation navrante découle d'une première réalité également désolante : plus un lieu est grandiose plus il y a de gens pour l'encombrer. Et le lien de causalité entre foules touristiques et qualité infra-humaine des bistrots est hélas vécu par chacun de nous lorsqu'il s'aventure vers les beautés du monde.

Le désastre peut prendre diverses formes : on trouve encore de vénérables bistrots de luxe admirablement conservés, qui vous facturent le café à 12 euros, serveur arrogant en sus, mais au moins peut-on y rêver un peu. Cependant, le modèle le plus courant est le café qui se donne des airs chics avec de l'imitation acajou, du faux cuir et  une vraie carte internationale qui vous propose le même poulet insipide qu'à l'autre bout de la planète. Une autre catégorie très répandue s'appelle "le bistrot typique", qui arbore des décors standardisés tellement "typiques" qu'on a fini par oublier comment étaient ceux d'origine, disparus depuis belle lurette. Ceux-là ont un succès bien mérité car en chaque touriste qui se respecte (ou pas) couve la nostalgie de l'Authentique. C'est ainsi que le décor en bois naturel avec vieille hotte accrochée au mur et cloche de vache sur le buffet est un must absolu dans tout bistrot de station de montagne. Et enfin, n'oublions pas les grandes chaînes, qui peuvent se payer les meilleurs emplacements des plus beaux endroits, pour y planter leur vilain Mcdommage et leur bête Starbeurk.

Bon, tout cela est bien connu, la standardisation fornique avec la mondialisation et le chant du tiroir-caisse s'élève au dessus des huit merveilles du monde et même au-dessus des 10'000 merveilles du monde.

Alors braves gens, restez chez vous, passez le mois d'août au plumard comme le recommande l'ami Boris, c'est plus snob et c'est bon.

Ou sinon, partez à la recherche d'un chouette troquet comme on partait quêter le saint Graal, derniers aventuriers de la planète !

Et bien moi, partageuse comme je suis, je vais vous présenter mon bistrot favori, mon bistrot miraculé, niché dans un endroit sublime de beauté ! Je ne vais tout de même pas pousser l'abnégation jusqu'à vous indiquer où il se trouve, trop c'est trop, mais lorsque vous viendrez me rendre visite je vous y emmènerai.


 

 


Il est adossé à une petite pente et fait face à un vallon de beaux pâturages, bordé des plus belles montagnes des Alpes. Hiver comme été un bon coup de soleil vous attend sur la terrasse plein sud.

Contrairement à la chanson de Brassens, mon bistrot favori n'est pas tenu par un gros dégueulasse mais par un vieux tandem formé d'un frère et d'une soeur. Je ne sais pas depuis quand ils tiennent le lieu, mais je suppose qu'ils l'ont repris en bas âge d'une longue lignée d'ancêtres. Il y a encore quelques années, ils préparaient à manger et puis, l'âge venant, ils ont réduit l'offre à la fondue, puis à des sandwiches et maintenant, ils se contentent de servir à boire. Leur service suit la pente naturelle de la vie.

Cela fait vint ans que nous fréquentons le lieu et chaque fois qu'ils nous servent leur chocolat chaud sur la terrasse ils précisent : "il est déjà sucré mais je vous mets le sucrier, si vous le préférez très sucré "! Et à chaque fois, cette ritournelle est répétée avec la même gentillesse, la même aimable tranquillité. Pour le service, il ne faut pas être trop pressé (mais comment pourrait-on être pressé dans le ce lieu magnifique?), car ils trottinent doucement et servent une table après l'autre. Et puis, ils reçoivent de la visite dans leur cuisine, alors il faut bien causer un peu et partager le verre de l'amitié.

A chaque nouvelle saison, lorsque nous montons à xxxx, nous craignons de trouver notre bistrot fermé ou soumis à une rénovation radicale pour cause de nouveau propriétaire. Mais pour le moment, nous le retrouvons tel que nous l'avons laissé quelques mois plus tôt et le cher duo vient nous serrer la main et lorsque nous prenons des nouvelles de leur santé et nous inquiétons de les voir par trop se fatiguer au travail, ils répondent gaiement : "oh ça va, comme les vieux, mais ici, on est bien, ça nous fait de la compagnie".


 


Ici, changement et progrès sont des mots d'ordre inconnus. Nos deux bistrotiers se contentent d'entretenir gentiment les lieux, tout marche bien et rien ne change. La déco, demandez-vous? les trucs aux murs sont là depuis toujours, on remplace simplement les affiches des prochaines manifestations locales, on ajoute une photo prise par un client, un dessin du petit neveu et basta.

Ils font un vin chaud délicieux et un nescafé antique et âcre que je bois pieusement.

Voilà, pendant que je vous racontais mon chouette et vieux bistrot, l'heure a tourné, le soleil a lancé un dernier éclair jaune et sans transition le froid tombe sur la terrasse. L'heure de rentrer.


 

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