Dimanche 6 mai, Bastille !
Des torrents, des rivières, des fleuves de gens ont conflué vers la place de la Bastille pour fêter la victoire de François Hollande! Venus seuls, en couple, en petits groupes d'amis ou carrément en bandes de potes. Certains sont arrivés à l'avance, pour être sur place à l'annonce des résultats, prêts pour le grand soulagement, tenant serrés les pouces pour conjurer la guigne, la noire déception, la rage qui suivrait, peut-être. Beaucoup de jeunes. Electricité.
Pendant la journée, un Paris gris et comme suspendu. Quelques coups de fils avec des amis : " j'ai de la peine à me concentrer", "je n'en peux plus", "j'ai mal au ventre", "vivement 20 heures". Une vraie salle d'accouchement, ce pays.
Le cirque médiatique de la campagne, selon la formule convenue, appartient au passé. Chacun prend la mesure de la décision imminente, se recentre sur son son désir, son urgence. Espoir et trouille. Quelqu'un dit : "si c'est encore l'Autre, je ne pourrai pas le supporter, je n'arriverai pas à le supporter".
Avant 20 heures, les portables fonctionnent à plein régime, les media suisses et belges brûlent la politesse, ça y est, on a gagné !!
La nuit est tombée, en haut de sa colonne le Génie domine la clameur, phare doré cerné par la houle.
Les heures passent, la foule joyeuse reste compacte, les bouteilles et les drapeaux circulent et s'agitent. Les ténors socialistes se succèdent sur scène, des musiciens aussi, on n'entend pas grand chose, la sono est mal branchée, on s'en fout.
Avec mes amis nous faisons figure d'ancêtres. Qu'ils sont jeunes, tous, presque tous ! " Vous étiez là en 81 ? Comment c'était ? Autant de monde? Aussi joyeux, aussi ….comment … aussi fort ?" Cela n'arrête pas. " Alors en 81, c'était comme ce soir ?" Dieu sait combien de fois on nous pose la question. Ce besoin presque avide de sentir le lien avec le passé, de faire chaîne dans le temps, m'émeut. Ceux d'entre nous qui "y étaient" répondent : "ah oui, aussi nombreux, oh oui, autant de joie, c'est pareil, un espoir encore plus grand, peut-être ".
Il y a autre chose qui me fait chaud au coeur : cette foule juvénile est totalement bigarrée : black-blanc-beurre comme on disait au temps des Bleus. La "banlieue" est là, et comment ! Par dessus les têtes flottent des drapeaux, des tricolores, quelques bannières PCF et Front de Gauche, quelques oriflammes non-identifiés par moi et deux drapeaux algériens! Le lendemain, l'élégante Nadine Morano se plaindra de cet affreux camouflet à la vraie France, sans comprendre, pauvre malheureuse, que ces drapeaux algériens signaient l'alliance de la racine et des branches. Elle ne les a pas vus, aveugle qu'elle est, chanter la Marseillaise à la fin du discours de François Hollande.
A 3 heures du matin, j'entends encore la foule depuis ma cour, d'ordinaire si calme. C'est vers 5 heures que la fête s'est terminée, parait-il.