ALICE SOMMER, si vieille, si grande

Ce sont les mains que l'on regarde d'abord. Un peu noueuses, les doigts forts et sûrs qui font jaillir les notes sur le clavier.

Deux heures et demi de piano, c'est le régime quotidien de Alice Sommer, pianiste depuis toujours. Et puis quoi, direz-vous ? Si l'on sait que son premier professeur de piano fut l'élève de Franz Liszt et que sa mère jouait dans l'orchestre dirigé par Gustav Mahler, alors quoi ?

Alors, Alice Sommer a 108 ans.

Elle dit : "Tout est cadeau, le monde est une splendeur". Elle dit aussi "L'homme n'apprend jamais rien, le bien et le mal sont en lui, le pire et le meilleur, c'est ainsi".

Elle dit aussi qu'elle a eu une chance extraordinaire dans la vie parce qu'elle l'a consacrée à la musique et que la musique est la plus grande des beautés du monde.

Elle dit aussi : "De la vie, il faut tout prendre".

Son mari a été gazé à Dachau. Elle-même fut internée plusieurs années au camp de concentration de Theresienstadt, avec son enfant. Elle faisait partie de l'orchestre du camp, qui a donné plus de 100 concerts, "des grands moments de joie", malgré la peur, la faim et le froid. Elle dit aussi "cela peut paraître choquant, mais nous avons aussi beaucoup ri". Elle ajoute qu'elle n'a rien oublié de l'horreur.

Des atrocités vécues, elle affirme qu'elle n'en a jamais soufflé mot à personne et qu'elle ne le fera jamais. On comprend que se joue, dans ce choix de silence, son éthique et sa dignité. Elle est la dernière survivante connue de l'holocauste mais elle ne veut rien étaler, ni infliger, ni galvauder. Si on l'interroge elle parle inlassablement de musique et de ce qu'elle a compris de l'humain à travers sa très longue vie.

Lorsqu'elle est interrogée sur sa religion, elle répond : "ma religion c'est la nature, l'amour maternel et la musique". Son regard se fait déterminé, presque farouche et elle ajoute : "Rien d'autre".

Elle avait une soeur jumelle, décédée il y a longtemps. Alice attribue leur différence de longévité à leur façon dissemblable de ressentir la vie. Elle-même se qualifie de sereine alors qu'elle décrit sa soeur comme une personne traversée par la crainte et le tourment.

La sérénité d'Alice est faite d'absence totale d'illusion et d'amour fervent pour la beauté. Un sacré alliage.

A 96 ans, elle était encore une belle dame qui avait l'air d'en avoir 15 de moins. A 108 ans, son visage s'est réduit à l'essentiel - l'universelle structure d'une tête humaine - éclairé par le feu aigu du regard, intact.

Alice Sommer, précieuse et sage vieille tortue.

 

Décembre 2011

A voir si possible le film qui est lui est consacré "Everything is a present", diffusé en novembre sur Arte

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