ALBERT ou la Clé des Mots
Au secours, à l'aide, je suis traqué par les Américains !
Pourtant je suis un citoyen ordinaire, je ne suis affilié à aucun groupuscule, je vis ma vie pacifique dans ma modeste chambre qui tient plus de la cellule que du hall de gare. Ce que j'aime particulièrement - ce n'est pas un crime tout de même - c'est partir en reconnaissance dans mon petit maquis urbain, près de chez moi, faire mon marché en solitaire, remplir mon sac de fruits et légumes, surtout d'avocats, d'ananas et de grenades, excellents pour la santé et qui protègent bien des radicaux libres.
Pourquoi suis-je ainsi repéré et traqué? Je n'y comprends rien, je le jure sur la tête du Prophète (non, je blague, il a d'autres chats et chiens à fouetter celui-là), je passe mon temps à me promener ou à téléphoner à mes amis pour leur raconter mes ballades, d'ailleurs ils font pareil, mes potes, c'est bon d'avoir de vraies complicités en amitié, ça permet de se dévoiler en confiance, de déposer les armes et je trouve que c'est fondamental, surtout dans notre société, cette jungle où chacun considère l'autre comme un ennemi. Moi, je suis un doux, je ne passe pas mon temps en embuscade à essayer de piéger les autres, si certains veulent se la jouer commando de choc, ça les regarde.
Je suis vraiment un citoyen de base, presque inexistant, mais nullement clandestin. Le jour du 14 juillet je reste dans mon lit douillet, comme le vieux Georges, j'ai pas la fibre militante, tout juste si je signe une pétition de Greenpeace quand ils tiennent leur stand au pied de la station de métro Kremlin-Bicêtre, en bas de chez moi, près du terminus de la ligne 7, Villejuif-Louis Aragon. Je ne suis même pas anarchiste, enfin, peut-être juste un poil, histoire de rêver. C'est ce que j'expliquais hier au téléphone à mon copain Omar. Lui, il est sur la ligne 8, à la station Liberté et parfois on se retrouve à mi-chemin pour boire un coup, à Filles-du-Calvaire, on se descend un truc qui dynamite, une menthe à l'eau, vous voyez le genre! Il faut dire que l'Omar il boit que de l'eau (ha), il est muslim par son papa mais toutes ces histoires de djihad ça le mine, c'est comme cette affaire d'intégration, plus on en parle moins ça se passe, Omar il dit que les quartiers sont de vraies cocottes-minutes, des bombes à retardement. On en cause comme ça au bistrot ou au téléphone.
Au téléphone j'aime bien discuter aussi avec ma soeur Angela, c'est une enragée de musique contemporaine, plus c'est scabreux plus elle kiffe, elle me racontait l'autre jour qu'elle avait assisté à un concert complètement explosif, une symphonie pour cordes, kalachnikov et orgue de Barbarie. Entre nous, elle m'a dit qu'elle était aussi traquée par les Ricains, non mais où va-t-on. C'est d'autant plus déplorable qu'elle est une véritable fan, que dis-je, une fanatique du président Barack Obama, preuve en est que son fils cadet s'appelle Barac (sans k), le pauvre. Enfin il est drôle et chou ce môme, il commence à baragouiner un peu, elle me le passe au téléphone et il crie "allaoualbaar", ce qui veut dire évidemment "il est où Albert" ( Albert c'est mon nom) mais avec ma soeur cela nous fait marrer alors on crie dans le téléphone "Allahou akbar"!
Bon, vous voyez bien que je n'ai strictement rien à voir avec la politique, ni la petite ni la grande, alors je me grille la cervelle à force de vouloir comprendre pourquoi je suis tellement surveillé, espionné. Même si je suis en compagnie de 59'999'999 autres compatriotes, ça ne me rassure pas. Il paraîtrait même que mon nom figure très haut sur la liste des suspects de terrorisme de cet organisme effrayant qu'ils appellent NSA, ce qui signifie Néfaste Suspicion Acharnée en bon français. Depuis quelques jours je vis dans la terreur, dites-moi que faire ou tout au moins, s'il vous plaît, trouvez les mots pour me rassurer, donnez-moi la clé de cette affaire.