Présentation

Je suis une enfant du demi-siècle. La bonne moitié du XXème, pour qui vit sous le ciel européen. Moi je suis née à Genève.

J’appartiens à la " génération 68 ", pour moi c’était l’année du bac. Mais les Suisses prennent leur temps, ce n'est qu'en 1970 que le chambardement étudiant s’est fait sentir. Cela tombait bien, j’étais en première année à la fac de Sciences Po à Lausanne. C’était bien, cette ambition de changer le monde, plus de misère, plus d’injustices criantes et plus de diktats des vieux croulants pour nous imposer une vie rigide et ennuyeuse. Un peu de marxisme, beaucoup de liberté, chouette programme.  On a “milité” selon l’expression d’alors. Mais aussi sillonné les routes en stop, roupillé n’importe où, les concerts de rock, Londres-mon-amour, loin du giron familial trop bien au tiède. On était tellement libre, une sensation magnifique.

Ensuite, le monde n’a pas changé. Choc pétrolier, montée du chômage, l’après-guerre du Vietnam qui accouche des boat people. Repli.

L'apprentissage avec les drogués

Pendant plusieurs années, j’ai travaillé dans un centre d’accueil et de traitement qui recevait de jeunes toxicomanes pour les aider à se sortir de l’héroïne et autres drogues dures. C’était le tout début du “phénomène de la drogue”, nouveau fléau qui semblait fasciner la population, les journaux y consacraient de pleines pages. Dans ce centre ambulatoire : petite équipe pluridisciplinaire, locaux ouverts sur la rue, accueil informel, projet expérimental.  Passionnant mais tragique. Les “patients” ( qui l’étaient peu ) avaient à peu près le même âge que la plupart des membres de l'équipe d'accueil, nous devions nous engager personnellement fortement dans la relation pour que l’énorme force d’attraction de la drogue ne l’emporte pas toujours, mais il fallait aussi garder la distance indispensable : un exercice de funambule permanent. Chaque matin, avec mes collègues, nous avions la sensation de descendre dans la face cachée de la ville, l’envers de notre beau décor genevois. J’y ai fait mes classes d’adulte.

Et plus tard, des voyages, l’Amérique du Sud et  ensuite la découverte de l’Asie, pendant de longs mois.

L’aventure humanitaire

En 1982, j’ai été acceptée comme déléguée au CICR, le Comité International de la Croix Rouge. Le 12 juin, arrivée au Liban, bombardements, ruines, cadavres, populations en fuite, arrestations en masse, la guerre en pleine figure. Ma vie a changé. Après il y a eu l’Irak, déjà en guerre et puis... et puis... encore et encore.  J’avais décidé de faire ce métier sérieusement, pas de tourisme humanitaire, non, un engagement qui compte, donc un horizon de 6 ou 7 ans. J’y suis restée 25 ans. On ne raconte pas cela en quelques lignes, alors je m’arrête là. Avec mon compagnon Gianni on a fait ce chemin ensemble. A la fin j’étais fatiguée et je n’ai pas hésité à saisir la chance de pouvoir prendre une retraite précoce.

J’ai entièrement tourné la page, je me suis dégagée de toute action dans ce domaine-là, même si cela m’habitera toujours. Je resterai d’une certaine façon “une humanitaire” jusqu’à mon dernier jour.

Depuis que je suis - ô merveille- libre de mon temps, je fais toutes sortes de découvertes. Je vis en partie à Paris et en partie à la campagne. Nous avons repris goût aux voyages, je chante avec d’autres gens,  j’écris un peu et je vois mes amis et puis je traîne.  Une chance pas possible. Touche-à-tout. Touche du bois.

Et puis la photo

Et puis un jour, la photo m’est tombée dessus, ou plutôt je suis tombée sur la photo. C’est la faute  d’un groupe de carrés blancs sur le bitume, à Paris, des marquages qui servent à indiquer les couloirs de bus ou de taxi. J’étais justement assise dans un bus, à regarder dehors distraitement et soudain m’ont sauté aux yeux ces carrés blancs nervurés de traces de pneus, formant de bizarres dessins géométriques. Tous différents, comme une série de gravures en noir et blanc, imprimée sur la rue. Je me suis dit c’est superbe je vais venir demain prendre des photos de ces trucs.

Cela m’a pris comme un virus. J’ai arpenté les trottoirs, sillonné la ville pendant des semaines avec mon appareil de photo, comme un chasseur dans la forêt ou un fada de champignons. Finalement les carrés blancs n’étaient pas si photogéniques, mais tout ce qu’il y avait autour - le bitume des rues et des trottoirs - recelait de nombreuses merveilles. La grande surprise, ce furent les couleurs. Dans tout ce gris, il y avait des pépites bleues, rouges, vertes, beaucoup de jaune aussi. J’adorais traquer l’abstraction, la beauté par terre sur ce bitume que l’on ne regarde jamais tant il est sale, banal et laid. Le sol de Paris s’est mis à me raconter des histoires à n’en plus finir.

Jusque là, je ne connaissais rien à la photo, juste clic-clac-kodak pendant les vacances. Le côté technique m’a angoissée car j’ai une cervelle rétive à la technique, alors j’ai décidé d’apprendre mine de rien, juste en fonction de mes besoins, sans m’énerver, autodidacte et basta. D’abord exercer l’oeil et le reste suivra ! J’ai commencé avec mon petit appareil de poche, pas longtemps, et puis j’ai craqué pour le Canon G9 et ensuite j’ai cédé sans retenue à un super Reflex avec de beaux objectifs, tout ce qu’il faut pour être heureux et faire beaucoup d’images !

En principe je ne sais pas quoi photographier. Et puis, tout-à-coup, un thème s’impose, c’est toujours l’oeil qui décide.